promenade littéraire dans Paris

Bastille Tango

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Un roman noir qui mêle vengeance politique argentine et considérations géographiques, sur fond de meurtres sanglants et d’histoires d’amour passionné : voilà le roman parisien du jour, qui nous invite à voir d’un oeil nouveau le quartier de la Bastille.

Le narrateur, photographe et collectionneur amateur, nous raconte les derniers moments du quartier populaire de la Bastille, avant la construction de l’Opéra qui bouleverse les codes du voisinage et entraîne la destruction d’un monde. Profondément nostalgique, il essaye d’arrêter le temps en photographiant abondamment les moindres détails de la destruction, tout en enquêtant sur la disparition de ses amis, immigrés politiques argentins.

Tout le monde connaît la Bastille, mais peu de gens se rappellent de cette Bastille là. Au-delà du souvenir de la forteresse révolutionnaire et de l’éléphant de Gavroche, la Bastille contemporaine, c’est un quartier populaire situé presque sur les rives de la Seine, plein de petits ateliers et de ruelles étroites, avec un ensemble de bâtiments d’un autre siècle, désaffectés ou à l’état de ruine plus ou moins avancé.

À la fois craintif et exalté, le voyageur pénètre dans la ville d’un pas de chat en territoire étranger

 Julio Cortazar

les promenades littéraires, c'est quoi ?

Avec les promenades littéraires, on part découvrir Paris sur les traces des romans qu’on aime. Avec des belles phrases pleins les oreilles, on se remplit les yeux de découvertes. Les descriptions prennent sens et on comprend mieux les échanges et les errances, quand on se perd soi-même, le livre à la main…

« Nous nous demandions ce que c’est que le centre d’une ville, dit Villon.
– Le centre ?
– Oui, reprit Marti. À Buenos Aires, par exemple, il n’y a pas de centre. Parce que la ville est trop grande, que personne ne peut la comprendre complètement. Ou bien, c’est parce qu’il y a le port et que ce port est le centre du pays. Mais voilà, on peut-être un vrai porteno et ignorer complètement ce port toute une vie : de la ville, on ne le voit pas ! Pour certains d’entre nous, le centre, c’est cette bordure gauche d’El Bajo, du côté de la via Monte, de Cordoba. Pour d’autres, c’est le Sud, celui de la chanson. Les quartiers où est né le tango. À Paris, c’est où le centre ?

Où ? Paris était une ville également bien trop grande pour qu’on puisse la connaître toute. Et d’ailleurs, la connaître comment ? Je n’avais pas de vraie réponse. Il me suffisait de refuser obstinément toutes les sollicitations au voyage hors les murs. Les quelques exceptions à cette règle n’avaient jamais été très heureuses. je comprenais ce que voulait dire Marti. Le “centre” n’avait pas de rapport direct avec la genèse, l’histoire. Un choix sentimental, plutôt. Un pôle d’attraction irrésistible, l’aboutissement non prémédité de toutes les errances. L’ultime case du jeu de l’oie intime composé sur la ville.
Pour moi, Bastille. »

La gare de la Bastille

Parmi les différents bâtiments dont la mémoire est sauvée par le récit, il y a la gare de la Bastille, longtemps terminus d’une des premières lignes Paris-Banlieue, qui desservait tout l’Est de la capitale, vers les joyeuses guinguettes des bords de Marne. Mise en service en 1859, cette gare accueillait de grands trains à vapeur qui traversaient Paris sur un viaduc surélevé. Mais à partir des années 1950, cette ligne fait office de grand-mère à l’échelle des innovations qui se développe dans les sous-sols de Paris, comme en témoigne notamment le panache de fumée blanche qui annonçait son arrivée. En 1969, ses voies extra-muros sont rachetées par la RATP, qui en fera la base du RER A. Le reste de la ligne est abandonné, ainsi que la gare de la Bastille. Elle est transformée en espace d’expositions et ses arcades accueillent des commerces, mais cela ne suffit pas à la sauvegarder, et elle est complètement détruite en 1984 pour laisser la place au nouvel opéra de Paris.

« Les commerces installés sous les arcades des voies de la gare de la Bastille, l’ancien embarcadère de Vincennes, annonçaient presque tous leur fermeture prochaine et définitive. Quartier en rénovation. En état d’expropriation.

Julio m’avait prévenu. Il avait même dû me donner la date de commencement du chantier. J’avais oublié. Maintenant, c’était fait. Détruits le grand hall, le parc, les voies d’accès sur le viaduc dominant la rue. Il ne restait plus que des poutrelles tordues, des murs arasés, des amas de gravats tristes qui se découpaient sur fond de ciel dépourvu d’étoiles. Seule restait la façade de la gare, élément de décor maintenu mais précaire. Une simple question de jours.

Ici, on allait construire un opéra. »

Le cinéma Paramount et la Tour d'Argent

À côté de la gare, se dressaient deux bâtiments de moindre importance, mais tout aussi mythiques à travers le regard du roman. Le cinéma “Lux-Bastille” (récupéré par la Paramount un peu plus tard) datait de 1937, avec toute la splendeur des façades de cinéma de l’époque. Il avait une forme caractéristique, rétrécie vers l’arrière, qui ne lui permettait pas d’avoir un grand écran. Comme tous les cinémas, sa disparition est source de profonde nostalgie chez ceux qui l’ont connu enfant, lorsque le rideau tombe sur l’écran après la dernière séance.

La Tour d’Argent, elle, brasserie parisienne authentique à la grande enseigne argentée, a la particularité d’avoir un homonyme beaucoup trop connu. Heureusement, le narrateur nous raconte toute son histoire :

« Maintenant, ils allaient s’attaquer à la brasserie.
– Le seul bâtiment restant qui ait vu la prise de la Bastille.
– Pourquoi faire ça ?
À l’angle de la place et de la rue de Charenton, restait la plus belle enseigne. Une longue double plaque en métal vaguement argenté, bordé de noir, avec une tour médiévale dessinée plutôt grossièrement, mais orgueilleuse.
– Tour-d’Argent ? Pourquoi ?
– Parce que l’auberge qui était installé ici faisait face a la tour sud-est de la Bastille. Peu après la construction, à la fin du XIVe siècle, on y avait entreposé le trésor royal.
Jessica voulait des anecdotes ? Je pouvais lui en fournir. Jusqu’à la Révolution, l’auberge elle-même avait aussi sa tour. À deux issues, parce que s’y donnaient des rendez-vous galants. De cette tour, la brasserie actuelle n’avait gardé qu’une trace symbolique. Une petite construction en bois, au-dessus de la porte d’entrée. Désormais arrachée, avec tout le reste. Le bâtiment ressemblait déjà à une ruine.
– Qui habitait dans les appartements, au-dessus ?
– Les serveurs, les apprentis, et puis le patron. Il s’appelle Solignac. La bâtisse appartenait à sa famille depuis 1913.
– Qu’est-ce que tu ressens ?
– Il y a longtemps que j’ai choisi d’aimer Paris malgré tout. »

La Boca

Si la colonne de Juillet est le point central de l’intrigue, le coeur du roman se situe plutôt dans la Boca, bar de tango populaire, situé dans la cour de Janvier, passage du Cheval Blanc. Cet entrevêchement d’adresses nous explique bien à quel point le réseau de ruelles pavées de l’époque était complexe. Au milieu de tous ces ateliers d’artisans abandonnés, qui témoignent déjà des bouleversements qui traversent le quartier, la Boca est un lieu d’accueil et de protection pour tous les personnages, qui y trouvent la chaleur rassurante de la danse et de la bonne nourriture argentine 🇦🇷

Tous les extraits proviennent de Bastille-Tango, Jean-François Vilar, 1986 

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