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Aujourd’hui, avec l’aide de Boris Vian, je vous emmène découvrir un des visages de Saint-Germain-des-Prés. Sur ses traces endiablées, on croise tout ce que le quartier a vu de gens célèbres, on danse le jazz et on traîne pendant des heures sur les banquettes des cafés les plus littéraires de Paris. Le tout dans une ambiance de nostalgie heureuse qui laisse rêveur…
Ce joli petit livre, faux manuel de géographie drôle et tendre, est une histoire du quartier et du jazz, racontée par plusieurs voix. Boris Vian essaye de démêler le vrai au milieu de tous les mythes qui entourent le quartier. Il nous présente une galerie de personnages attachants et un peu fous, avec qui on a envie d’aller danser pendant des heures 🕺
C’est un vrai guide pour explorer le quartier, avec plein d’adresses et d’anecdotes. J’ai savouré le livre avec régal, et je trouve qu’il donne une âme au quartier, il l’habite, au-delà de son image clichée 💌
Et ça m’a permis de découvrir plein de nouvelles chansons, et même du jazz 🎶
Il pleut peut-être à Saint-Germain-des-Prés, mais seulement sur ceux qui n’y vivent pas.
Boris Vian
Avec les promenades littéraires, on part découvrir Paris sur les traces des romans qu’on aime. Avec des belles phrases pleins les oreilles, on se remplit les yeux de découvertes. Les descriptions prennent sens et on comprend mieux les échanges et les errances, quand on se perd soi-même, le livre à la main…
« Le quartier Saint-Germain-des-Prés n’avait pas du tout l’allure de fête de celui de Montparnasse et, le Flore était, comme les Deux Magots et le Lipp, d’un calme parfait. Sur ce point, de Pierre Bost à Raymond Queneau, tous ceux que j’ai interrogés sont unanimes : Saint-Germain-des-Prés plaisait pour sa tranquillité, son charme un peu provincial »
Le Flore et les Deux Magots sont impossibles à séparer, impossibles à départager. Ils existent toujours ensemble, dans le même souffle, rivaux complices et jamais vraiment ennemis. Depuis leurs ouvertures respectives en 1885 et 1887, les écrivains y viennent attendre leurs éditeurs, qui vivaient tous dans le quartier. Et ils en profitent pour créer des journaux (la Revue d’Action Française de Maurras, à l’étage du Flore, en 1899), écrire des prix Goncourt (Les Mandarins de Simone de Beauvoir, dans la salle arrière des Deux Magots) ou inventer des mouvements artistiques (le surréalisme, par Apollinaire & Aragon, à la terrasse du Flore). Ces deux brasseries sont ainsi profondément liées à l’histoire culturelle et littéraire du XXth siècle, et se retrouvent dans de nombreux romans, biographies et films. Aujourd’hui, leur tradition littéraire est perpétré par la remise de prix littéraires, bien que les maisons d’édition aient presque toutes été remplacées par des boutiques de luxe, conséquence malheureuse de la popularité du quartier dans les années 1970.
Boris Vian raconte l’atmosphère artistique unique qui régnait dans ces lieux fréquentés par toute la société intellectuelle d’avant-garde. Il explique les subtiles nuances qui font choisir l’un à la place de l’autre, et comment se comporter pour être accepté partout, en se moquant au passage des traditions élitistes qui se perpétuaient entre générations.
Le troisième compère de ce mémorable trio, c’est Lipp, la brasserie la plus politique et artistique de Paris, avec ses miroirs, ses banquettes craquelées et ses sénateurs chuchotant. Les artistes du coin fréquentent indifféremment les trois brasseries, selon un curieux ballet qui dépend de l’heure de la journée, du sens du soleil et des personnes que l’on veut éviter à tout prix.
La partie qui m’a le plus intéressée (probablement parce que c’est celle que je connaissais le moins), c’est tout ce que Vian raconte sur les caves de jazz, qui ont poussé comme des champignons après la Seconde Guerre mondiale. Comme il était lui-même musicien et grand amateur de jazz, on a véritablement affaire à un expert, qui raconte avec délice les évènements majeurs de cette histoire énergique.
Cave du Tabou, Extrait de « Le Désordre » ©Argos Films. On reconnaît Alain Vian (au tambour), Roger Pierre, Alexandre Astruc et Anne-Marie Cazalis, ainsi que Claude Luter à la clarinette.
Cette cave de jazz, une des premières, ouverte en 1947 dans les sous-sols de l’hôtel d’Aubusson, cristallise l’image typique des caves pour le grand public. Dans une atmosphère enfumée et sauvage, on pouvait croiser Juliette Gréco et écouter Claude Luter se démener derrière sa clarinette. Les « Zazous », avec leurs vêtements anglais, disputaient le règne aux existentialistes chevelus.
« Très vite, le Tabou devint alors un centre de folie organisée. Disons le tout de suite, aucun des clubs qui suivirent n’a pu recréer cette atmosphère incroyable, et le Tabou lui-même, hélas ! ne la conserva pas très longtemps ; c’était d’ailleurs impossible.
Le contrôle franchi, on descendait un tortueux escalier de pierre et on aboutissait au long boyau voûté, comme une station de métro en beaucoup plus petit et en beaucoup plus sale, que prolongeait en face une estrade organisée en forme de paillote, et de l’autre côté, un bar de chêne et un petit réduit dénommé vestiaire. Il fallait du temps pour distinguer tout cela : le brouillard de cigarette était quasi londonien et le vacarme si intense que, par réaction, on n’y voyait plus rien. »
Plus rien ne témoigne aujourd’hui que la tranquille rue Saint-Benoît a un jour accueilli les plus grandes fêtes de jazz de la capitale, dans les sous-sols du respectable hôtel de l’industrie, qui accueille la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (rien que ça !)
Et pourtant, Boris Vian lui-même est à l’origine de cette cave de jazz, où il invitera Duke Ellington et devant laquelle, à la nuit tombée, se déversaient des cars de touristes, venus s’encanailler à Saint-Germain-des-Prés
« On mit un bar, une plonge, des lavabos, des bois sculptés qui proviennent d’un vieux manège de chevaux de bois, lui-même construit avec les débris d’une frégate du XVIe siècle, le tout récupéré en Bretagne par Chauvelot, on accrocha une tête de cheval en carton pâte et une femme à barbe, on installa un piano, des musiciens, des barmen, on apporte des verres et des bouteilles et on constitua le Club Saint-Germain-des-Prés.
Ouvert en juin 48, le club battit le record d’affluence des caves à plusieurs reprises. Il bénéficiait, par rapport au Tabou, d’une situation privilégiée. Il y a eu des soirées de jazz célèbres : en l’honneur d’Ellington (juillet 48) où mille personnes embouteillaient la rue, pour les Festivals de jazz où se retrouvèrent tous les musiciens américains. Cependant on ne retrouve jamais l’atmosphère initiale du Tabou ; il venait déjà trop de monde à Saint-Germain-des-Prés. »
Tous les extraits proviennent du Manuel de Saint-Germain-des-Prés, Boris Vian, 1986